Je souhaiterais réagir sur ce petit pamphlet fustigeant l’humour chrétien, paru dans votre numéro du 23 novembre, concernant l’accueil hostile de ceux que vous appelez les fondamentalistes chrétiens – que vous associez volontiers à l’extrême droite- suscité par le spectacle de Rodrigo Garcià « Golgota Picnic ».
J’ai un petit problème avec les Inrocks. Sans avoir été un lecteur en continu, j’ai feuilleté vos premières pages au lycée, parce que je découvrais alors Sonic Youth et que votre couverture –bleue si je ne m’abuse- avec une Kim Gordon à la mine délicieusement cadavérique, cernée par les bras d’adolescent de Thurston More m’intriguait.
Pour être honnête, je n’ai pas compris grand-chose à votre article. Notre première phase d’incompréhension réciproque – dont j’étais l’entier responsable- dura quelques années. Aussi, en sortant de ma rencontre dantesque avec le Lost Highway de Lynch, je retournai vers vous avec quelque espoir d’y voir plus clair, équipé des quelques neurones fraichement éveillés dans mon esprit d’étudiant. Bingo, je compris presque autant votre critique – dithyrambique à juste titre – que le cauchemar éveillé de cette espèce de Chris Isaak quinqua déjanté. S’en suivit une longue période de communion fraternelle autour de moments paradoxalement heureux comme celui de la sortie du deuxième album de Portishead, de la découverte de Trainspotting ou de moments poignants comme la disparition tragique –presque mystique- de Jeff Buckley.
Mais les meilleurs moments ont une fin, c’est le principe de la jeunesse, et l’entrée dans la vie active du jeune instit que j’étais nous sépara de nouveau pour quelques années. De temps à autres, je retournais à vous. Ponctuellement. Pour constater que vous emboitiez le pas à la révolution annoncée du Rock à force d’éloges successives à des groupes en « The… » dont l’histoire ne retiendra au final que le pantalon slim et la perruque, et la postérité avertie que leur pillage en bonne et due forme des Stones. Ou bien encore pour vous voir fustiger la droite sarkozyste et réclamer la régularisation de tous les malheureux qui aspirent à vivre en France. A une époque, vos penchants politiques m’agaçaient déjà. Parce qu’il vous paraissait certainement inconcevable de pouvoir être lu par un autre public que la génération sortant du ventre d’une gauche caviar qui avait tôt fait de réclamer du social, tout en entretenant des rapports plus qu’ambigus avec le grand capital. Ça m’énervait donc, mais vu qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, j’ai fini par vous rejoindre sur bien des positions devant le bilan lamentable des gouvernements de droite et la désintégration – ou l’assassinat c’est selon - de la vraie identité française, celle qui n’est pas convaincue que le voisin d’origine métissée d’à côté soit forcément un agent dormant d’Al Quaïda.
Vous allez me dire que vous finissez toujours par me convaincre ? Il existe un point sur lequel nous conserverons toujours et au-delà de nos affinités une distance. Vous concevez la foi chrétienne des uns comme une tare transgénérationnelle. Dans votre esprit libertaire parfois étriqué, un catholique est un pétainiste, un protestant un G.W Bush. L’équation « chrétien + gauche + envie de culture » ne trouve pas de solution. Et au nom de la tolérance et de la liberté d’expression, on peut aisément cautionner et encourager un pseudo artiste qui chie devant un portrait du Christ. La provocation, c’est ce qui reste à un artiste quand son inspiration a foutu le camp, quand son égo se dissocie de son talent. Gainsbourg en fut la preuve.
Vous attendez d’une partie de la population qui s’en remet à Dieu qu’elle accepte qu’on crache sur son seul trésor, qu’on le raille ou qu’on le diffame. C’est donc ça, cette fichue tolérance que vous défendez : le droit de blesser gratuitement pour les uns, le droit de fermer sa gueule pour les autres. De confession protestante, je m’efforce tant bien que mal à ne pas juger quelqu’un sur sa seule apparence, à ne pas fustiger celui qui n’est pas convaincu qu’il y ait quelqu’un là-haut. La République en laquelle je crois, la laïcité que je revendique, ça n’est pas celle qui dénigre celui qui n’est pas dans l’air du temps, sous couvert de la liberté d’expression. C’est celle qui accepte et respecte toutes les différences. Le chrétien n’a pas d’humour ? Pas moins que le bobo qui vit avec 100 000€ par an, en face de ses contradictions lorsqu’ on lui demande s’il est réellement prêt loger pour une soirée un SDF qui n’a pas pris de douche depuis quinze jours.
Le Christ est un démagogue ? Il a été crucifié par le peuple. La religion un appui des élites ? Les premiers Chrétiens furent traqués par les autorités – c’est encore le cas dans certains pays. Et sans l’aide d’une Kalachnikov pointée dans le dos, ils mettaient leurs biens en communauté, selon la règle du bon vouloir. Vous qui aimez tant revendiquer la défense des pauvres, demandez-vous pourquoi le message du Christ est le seul qu’ils aient retenu et entretenu, avant celui de Marx, de Guevara, et plus récemment avant les promesses d’un Obama… ou d’un Sarkozy.
Pascal Laganà