Impossible de dormir. Le sommeil me fuit depuis que je me suis allongé. J’hésite, tergiverse, me demande derrière chaque heure écoulée si je dois insister, continuer de remuer toutes les pensées qui assaillent mon esprit, ou me lever et aller les écrire.
À cinq heures du matin, une vie se termine. Celle des noctambules qui sortent de boîte. Le crissement des pneus des chauffards ivres déchire la nuit agonisante. Je m’arrête pour retirer de l’argent. Je croise des promeneurs équipés pour la randonnée nordique. Leurs shorts sont trop courts, ils parlent fort, marchant vite pour échapper à la morsure de la fraîcheur. Dehors, il fait dix-huit degrés, mais des rafales cinglantes viennent me faire frissonner. Un jeune couple passe. J’ai l’impression qu’ils sortent d’une dispute : ils marchent côte à côte en conservant leurs distances, la mine grave et renfrognée. Les amours eux aussi, meurent au petit jour.
Je démarre le moteur en remarquant à quel point la torpeur a engourdi mon cerveau. J’ai l’impression de rouler sur du coton. Après deux cent mètres, je réalise que mes feux sont éteints. Puis la voiture gravit les pentes du Mont Saint-Clair. Les rues sont désertes. Je suis un spectre matinal qui erre dans la ville endormie, insomniaque ou somnambule, je ne sais pas très bien. Dans quelques minutes, la nuit va s’incliner devant le jour naissant, dans cette incroyable schizophrénie cosmique. Le ying et le yang vont se croiser comme deux amants condamnés à des horaires de travail impossibles à concilier.
Sur les hauteurs, je contemple l’ombre opaque du bassin de Thau et la cité éclairée par les veilleuses des hommes. Je pense à une miniature de Los Angeles qui se déploierait dans l’horizon immense, duquel on perçoit en ses confins les prémices de l’aurore. Moment magique, apothéose insaisissable que les humains manquent invariablement. Les ténèbres se diluent progressivement dans la fragile pâleur qui prépare le chemin à la lumière conquérante.
De temps à autre, je sors de l’habitacle confiné de la voiture pour savourer les différents tableaux qui se succèdent derrière la embarde du parking. J’y retourne frigorifié. Le vent souffle, siffle, fait ployer les herbes hautes et la cime des arbres environnants. À chaque fois, le spectacle change. Les rives se découvrent, les montagnes alentours se dessinent, le monde naît, dans une éternelle première fois.
Je songe à mon fils qui dort paisiblement, à la peau de ma femme, douce et chaude, inerte sous ses draps. Sur l’étang, un point lumineux se déplace. C’est un bateau qui traverse.