Le sujet

Emmanuel Gallieni est un jeune garçon sans histoire, jusqu’au jour où, en proie à un sentiment d’empathie extrême envers un camarade de classe, il se découvre le pouvoir de prendre possession du corps d'autrui. Des petits méfaits égoïstes de l'adolescence à la félonie et aux crimes de l'âge adulte, des villages sinistrés du Nord de la France aux dunes du désert du Namib, Emmanuel se cherche, se perd, et part en quête d'une impossible rédemption.



samedi 6 août 2011

Insomnie méditerranéenne

Sète, Mont Saint-Clair, 5:30, le 31/07/2011
 
Impossible de dormir. Le sommeil me fuit depuis que je me suis allongé. J’hésite, tergiverse, me demande derrière chaque heure écoulée si je dois insister, continuer de remuer toutes les pensées qui assaillent mon esprit, ou me lever et aller les écrire.
À cinq heures du matin, une vie se termine. Celle des noctambules qui sortent de boîte. Le crissement des pneus des chauffards ivres déchire la nuit agonisante. Je m’arrête pour retirer de l’argent. Je croise des promeneurs équipés pour la randonnée nordique. Leurs shorts sont trop courts, ils parlent fort, marchant vite pour échapper à la morsure de la fraîcheur. Dehors, il fait dix-huit degrés, mais des rafales cinglantes viennent me faire frissonner. Un jeune couple passe. J’ai l’impression qu’ils sortent d’une dispute : ils marchent côte à côte en conservant leurs distances, la mine grave et renfrognée. Les amours eux aussi, meurent au petit jour.
Je démarre le moteur en remarquant à quel point la torpeur a engourdi mon cerveau. J’ai l’impression de rouler sur du coton. Après deux cent mètres, je réalise que mes feux sont éteints. Puis la voiture gravit les pentes du Mont Saint-Clair. Les rues sont désertes. Je suis un spectre matinal qui erre dans la ville endormie, insomniaque ou somnambule, je ne sais pas très bien. Dans quelques minutes, la nuit va s’incliner devant le jour naissant, dans cette incroyable schizophrénie cosmique. Le ying et le yang vont se croiser comme deux amants condamnés à des horaires de travail impossibles à concilier.
Sur les hauteurs, je contemple l’ombre opaque du bassin de Thau et la cité éclairée par les veilleuses des hommes. Je pense à une miniature de Los Angeles qui se déploierait dans l’horizon immense, duquel on perçoit en ses confins les prémices de l’aurore. Moment magique, apothéose insaisissable que les humains manquent invariablement. Les ténèbres se diluent progressivement dans la fragile pâleur qui prépare le chemin à la lumière conquérante.
De temps à autre, je sors de l’habitacle confiné de la voiture pour savourer les différents tableaux qui se succèdent derrière la embarde du parking. J’y retourne frigorifié. Le vent souffle, siffle, fait ployer les herbes hautes et la cime des arbres environnants. À chaque fois, le spectacle change. Les rives se découvrent, les montagnes alentours se dessinent, le monde naît, dans une éternelle première fois.
Je songe à mon fils qui dort paisiblement, à la peau de ma femme, douce et chaude, inerte sous ses draps. Sur l’étang, un point lumineux se déplace. C’est un bateau qui traverse.
 

mercredi 3 août 2011

Hier, l'Equipe titrait...

A propos de Javier Pastore, la recrue imminente du PSG : ''Vaut-il vraiment 42 millions?''
Je sors du bureau tabac, le quotidien sous le bras. Devant la boulangerie, juste à cote, un type fait la manche. Dans le gobelet devant lui, cinq ou six pièces jaunes, une dizaine de ferraille. Je sors la monnaie qui traine dans ma poche : un euro cinquante. J'imagine une Une alternative pour un quotidien à gros tirage avec la photo du SDF. ''Vaut-il vraiment 1€50?''.
Parfois, cette Terre m'apparait comme une planète réellement merdique.

Chronique du hasard

Ca y est, j'ai inauguré mon compte Facebook. Après avoir transmis à Mark Zuckerberg mon carnet d'adresses mail, je valide la création de ma nouvelle existence virtuelle. En moins de dix secondes, je me retrouve face à la multitude d'amis et d'amis de mes amis - qui sont d'après les suggestions de ce brave Mark, d'autres amis potentiels - qui dérivent déjà sur l'océan du vide existentialiste, et qui tels les noyés du Styx, tentent d'agripper les âmes indolentes.



Longtemps je me suis cru capable d'échapper aux réseaux sociaux. Quand je répondais à la question fatidique "Et tu possèdes un compte Facebook?" par la négative, combien de fois me suis-je étonné des soupirs, des regards envieux, des regrets, ou des injonctions à ne pas rejoindre les myriades d'enchaînés dont mes interlocuteurs faisaient partie?



De la même façon entend-on parfois cette question :



"Auriez-vous une cigarette?"



- Désolé mais je ne fume pas



- Vous avez bien raison. Il faudrait que j'arrête, d'ailleurs"



Les gens qui sont sur Facebook vous invitent à les rejoindre tout en gardant à l'esprit que la malédiction qui les afflige se refile comme la gastro, par un simple contact.



J'ai ainsi retrouvé la trace de ces "amis" disparus, oubliés, oublieux ou oubliables. Et devant le flux infini des identités qui se déclinaient devant moi, le malaise m'a saisi, le vertige de constater le vide abyssal qui me faisait face.



Alors j'ai repensé à mes deux grands-pères. Tous deux étaient de ces mineurs d'origine italienne, exilés dans le Nord, comme pour payer le tribu d'ancêtres redevables au Soleil de grâces dont ils ne s'étaient pas acquittés, sous une pluie et un vent glacial perpétuels.



Quand ils sortaient de la fosse, L'un regagnait son potager, l'autre ses champs, pour travailler la surface d'un monde qu'ils ne connaissaient plus que dans ses entrailles.



J'ai tenté de prendre la mesure de cette nécessité qui s'imposait à eux, de poursuivre un autre travail, après celui harassant de la mine. Et je les ai vus, à la tombée du jour, poser leur outil, les mains sur la taille, à contempler leur ouvrage. Je les ai vus sourire, dans cette pudeur ineffable qui ne les quittait jamais face au travail accompli. Ainsi sauvaient-ils leurs âmes.



Moi, je suis de cette génération qui court après le vent, le soulève par brassées, et déplore son absence une fois les mains ouvertes...