Le sujet

Emmanuel Gallieni est un jeune garçon sans histoire, jusqu’au jour où, en proie à un sentiment d’empathie extrême envers un camarade de classe, il se découvre le pouvoir de prendre possession du corps d'autrui. Des petits méfaits égoïstes de l'adolescence à la félonie et aux crimes de l'âge adulte, des villages sinistrés du Nord de la France aux dunes du désert du Namib, Emmanuel se cherche, se perd, et part en quête d'une impossible rédemption.



mercredi 14 décembre 2011

Lettre aux Inrocks

Je souhaiterais réagir sur ce petit pamphlet fustigeant l’humour chrétien, paru dans votre numéro du 23 novembre, concernant l’accueil hostile de ceux que vous appelez les fondamentalistes chrétiens – que vous associez volontiers à l’extrême droite-  suscité par le spectacle de Rodrigo Garcià « Golgota Picnic ».
J’ai un petit problème avec les Inrocks. Sans avoir été un lecteur en continu, j’ai feuilleté vos premières pages au lycée, parce que je découvrais alors Sonic Youth et que votre couverture –bleue si je ne m’abuse- avec une Kim Gordon à la mine délicieusement cadavérique, cernée par les bras d’adolescent  de Thurston More m’intriguait.
Pour être honnête, je n’ai pas compris grand-chose à votre article. Notre première phase d’incompréhension réciproque – dont j’étais l’entier responsable-  dura quelques années.  Aussi, en sortant de ma rencontre dantesque avec le Lost Highway de Lynch, je retournai vers vous avec quelque espoir d’y voir plus clair, équipé des quelques neurones fraichement éveillés dans mon esprit d’étudiant. Bingo, je compris presque autant votre critique –  dithyrambique à juste titre – que le cauchemar éveillé de cette espèce  de Chris Isaak quinqua déjanté. S’en suivit une longue période de communion fraternelle autour de moments paradoxalement  heureux comme celui de la sortie du deuxième album de Portishead, de la découverte de Trainspotting ou de moments poignants comme la disparition tragique –presque mystique- de Jeff Buckley.
Mais les meilleurs moments ont une fin, c’est le principe de la jeunesse, et l’entrée dans la vie active du jeune instit que j’étais nous sépara de nouveau  pour quelques années. De temps à autres, je retournais à vous.  Ponctuellement. Pour constater que vous emboitiez le pas à la révolution annoncée du Rock à force d’éloges successives à des groupes en « The… » dont l’histoire ne retiendra au final que le pantalon slim et la perruque, et la postérité avertie que leur pillage en bonne et due forme des Stones. Ou bien encore pour vous voir fustiger la droite sarkozyste et réclamer la régularisation de tous les malheureux qui aspirent à vivre en France. A une époque, vos penchants politiques m’agaçaient déjà. Parce qu’il vous paraissait certainement inconcevable de pouvoir être lu par un autre public que la génération sortant du ventre d’une gauche caviar qui avait tôt fait de réclamer du social, tout en entretenant des rapports plus qu’ambigus avec le grand capital. Ça m’énervait donc, mais vu qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, j’ai fini par vous rejoindre sur bien des positions devant le bilan lamentable des gouvernements de droite et la désintégration – ou l’assassinat c’est selon - de la vraie identité française, celle qui n’est pas convaincue que le voisin d’origine métissée d’à côté soit forcément un agent dormant d’Al Quaïda.
Vous allez me dire que vous finissez toujours par me convaincre ? Il existe un point sur lequel nous conserverons toujours et au-delà de nos affinités une distance. Vous concevez la foi chrétienne des uns comme une tare transgénérationnelle. Dans votre esprit libertaire parfois étriqué, un catholique est un pétainiste, un protestant un G.W Bush. L’équation « chrétien + gauche + envie de culture » ne trouve pas de solution. Et au nom de la tolérance et de la liberté d’expression, on peut aisément cautionner et encourager un pseudo artiste qui chie devant un portrait du Christ. La provocation, c’est ce qui reste à un artiste quand son inspiration a foutu le camp, quand son égo se dissocie de son talent. Gainsbourg en fut la preuve.
Vous attendez d’une partie de la population qui s’en remet à Dieu qu’elle accepte qu’on crache sur son seul trésor, qu’on le raille ou qu’on le diffame. C’est donc ça, cette fichue tolérance que vous défendez : le droit de blesser gratuitement pour les uns, le droit de fermer sa gueule pour les autres. De confession protestante, je m’efforce tant bien que mal à ne pas juger quelqu’un sur sa seule apparence, à ne pas fustiger celui qui n’est pas convaincu qu’il y ait quelqu’un là-haut. La République en laquelle je crois, la laïcité que je revendique, ça n’est pas celle qui dénigre celui qui n’est pas dans l’air du temps, sous couvert de la liberté d’expression. C’est celle qui accepte et respecte toutes les différences. Le chrétien n’a pas d’humour ? Pas moins que le bobo qui vit avec 100 000€ par an, en face de ses contradictions lorsqu’ on lui demande s’il est réellement prêt loger pour une soirée un SDF qui n’a pas pris de douche depuis quinze jours. 
Le Christ est un démagogue ? Il a été crucifié par le peuple. La religion un appui des élites ? Les premiers Chrétiens furent traqués par les autorités – c’est encore le cas dans certains pays. Et sans l’aide d’une Kalachnikov pointée dans le dos, ils mettaient leurs biens en communauté, selon la règle du bon vouloir. Vous qui aimez tant revendiquer la défense des pauvres, demandez-vous pourquoi le message du Christ est le seul qu’ils aient retenu et entretenu, avant celui de Marx, de Guevara, et plus récemment avant les promesses d’un Obama… ou d’un Sarkozy.
Pascal Laganà

Chronique du hasard

Ca y est, j'ai inauguré mon compte Facebook. Après avoir transmis à Mark Zuckerberg mon carnet d'adresses mail, je valide la création de ma nouvelle existence virtuelle. En moins de dix secondes, je me retrouve face à la multitude d'amis et d'amis de mes amis - qui sont d'après les suggestions de ce brave Mark, d'autres amis potentiels - qui dérivent déjà sur l'océan du vide existentialiste, et qui tels les noyés du Styx, tentent d'agripper les âmes indolentes.



Longtemps je me suis cru capable d'échapper aux réseaux sociaux. Quand je répondais à la question fatidique "Et tu possèdes un compte Facebook?" par la négative, combien de fois me suis-je étonné des soupirs, des regards envieux, des regrets, ou des injonctions à ne pas rejoindre les myriades d'enchaînés dont mes interlocuteurs faisaient partie?



De la même façon entend-on parfois cette question :



"Auriez-vous une cigarette?"



- Désolé mais je ne fume pas



- Vous avez bien raison. Il faudrait que j'arrête, d'ailleurs"



Les gens qui sont sur Facebook vous invitent à les rejoindre tout en gardant à l'esprit que la malédiction qui les afflige se refile comme la gastro, par un simple contact.



J'ai ainsi retrouvé la trace de ces "amis" disparus, oubliés, oublieux ou oubliables. Et devant le flux infini des identités qui se déclinaient devant moi, le malaise m'a saisi, le vertige de constater le vide abyssal qui me faisait face.



Alors j'ai repensé à mes deux grands-pères. Tous deux étaient de ces mineurs d'origine italienne, exilés dans le Nord, comme pour payer le tribu d'ancêtres redevables au Soleil de grâces dont ils ne s'étaient pas acquittés, sous une pluie et un vent glacial perpétuels.



Quand ils sortaient de la fosse, L'un regagnait son potager, l'autre ses champs, pour travailler la surface d'un monde qu'ils ne connaissaient plus que dans ses entrailles.



J'ai tenté de prendre la mesure de cette nécessité qui s'imposait à eux, de poursuivre un autre travail, après celui harassant de la mine. Et je les ai vus, à la tombée du jour, poser leur outil, les mains sur la taille, à contempler leur ouvrage. Je les ai vus sourire, dans cette pudeur ineffable qui ne les quittait jamais face au travail accompli. Ainsi sauvaient-ils leurs âmes.



Moi, je suis de cette génération qui court après le vent, le soulève par brassées, et déplore son absence une fois les mains ouvertes...