Je suis assis à côté d’eux, je savoure ma
Leffe en tapant quelques lignes sur mon netbook. Mais en toile de fond, ses
propos à elle me parviennent et son évident désintérêt à lui m’interpelle.
Elle semble avoir un besoin irrépressible
de parler. Elle invente des sujets à la con par myriades ; la durée des
démarches en mairie, la disponibilité d’Elizabeth pour la journée de dimanche,
la fiabilité des prochains locataires.
Lui ne bronche pas. Il assiste à ce
monologue déprimant sans se donner la peine de lui offrir la moindre réplique,
le moindre commentaire. On est au-delà de l’agacement, on se situe à la
frontière irréelle entre indifférence et absence. Je ne peux le blâmer tellement
l’intangibilité de ce qu’elle raconte semble
d’un non-sens absolu. Moi-même, J’ai du mal à cerner mes propres impressions
sur elle. Au fond, n’est-elle pas touchante ? À moins qu’elle ne m’horripile
déjà. Je la découvre depuis une dizaine de minutes et j’ai la sensation - comme
lui certainement – d’être en état de siège. Sauf que lui doit connaître ça depuis des années. Je suis fatigué pour lui.
Elle est ronde, trop en chair ; elle
porte la même coiffure que Josiane Balasko dans Gazon Maudit ; mais elle
reste féminine. Du moins, elle se contraint encore à porter du rouge à lèvres,
de ce rouge à agressif, clinquant, aussi approprié que la peinture métallisée
d’une Ferrari apposée à une Renault 4. Elle semble encore faire attention à ce
qu’elle porte ; des vêtements de qualité sans aucun doute mais affreusement
ringards.
Lui porte un tee-shirt orange déliquescent sur un jean mal
taillé. De son apparence, de l’image qu’il est susceptible de renvoyer, il
se contrefout totalement. Ils ont la
soixantaine, leur vie est derrière eux, l’on sent dans sa traînée le poids des
échecs.
Elle continue de parler, il continue de
s’en foutre.
Un vieil homme passe, en short et tricot, des
sandalettes aux pieds, les chaussettes sombres remontées jusqu’aux genoux. Il
avance courbé mais rapidement à l’aide d’une canne. Il grimace et disparaît. Bordel,
c’est quoi cet endroit, la Quatrième Dimension ?
« Bon, on va chercher les
comprimés ? »
Sur cette dernière phrase, les deux se lèvent et s’en vont. Epilogue
magnifique.