Le sujet

Emmanuel Gallieni est un jeune garçon sans histoire, jusqu’au jour où, en proie à un sentiment d’empathie extrême envers un camarade de classe, il se découvre le pouvoir de prendre possession du corps d'autrui. Des petits méfaits égoïstes de l'adolescence à la félonie et aux crimes de l'âge adulte, des villages sinistrés du Nord de la France aux dunes du désert du Namib, Emmanuel se cherche, se perd, et part en quête d'une impossible rédemption.



dimanche 9 octobre 2011

Extrait du recueil "Carnets de voyage : Terres du Nord" à paraître prochainement

Paris, décembre 2005


Gare du Nord, 22h20, un dimanche soir en décembre. Ou comment associer le pire lieu à la pire heure, au pire moment de l’année.

La Gare du Nord est le lieu le plus sinistre de Paris. Tous les courants d’air de la capitale s’y donnent rendez-vous. Il y a dans l’atmosphère un malaise constant. On est toujours en dépression quand on quitte Paname et ses lumières, gagné par l’amertume de retrouver ce qu’on connaît trop bien.

Gare du Nord.

 Une gare, c’est tellement froid, tellement impersonnel. C’est toujours partagé entre l’angoisse de ceux qui arrivent et la tristesse de ceux qui partent. C’est encore plus vrai à Paris. Surtout quand ceux qui s’en vont filent vers le Nord. Le Plat Pays et ses cieux plombés, ses friches industrielles et ses cafés surpeuplés par la misère locale. Je connais trop bien ces paysages désolants qui défilent le long du trajet Paris-Douai. C’est leur succession qui progressivement estompe les feux de la capitale  et qui une fois arrivé à destination, achève de dissiper la magie des grands boulevards.

Gare du Nord, 22h20, un dimanche soir en décembre. Je croise des étudiants qui regagneront leur chambre de bonne glacée dans les combles d’un immeuble haussmannien. Je croise les toxicomanes qui errent à la recherche d’une dernière dose et leurs dealers aux regard fuyant qui font leur sale besogne. Je croise le jeune type amoureux qui renonce pour la semaine à celle qui fait battre son cœur et le bidasse qui retourne malgré lui dans cette maudite caserne.
Et au milieu de ce cirque, il y a ce type mélancolique, enfoncé dans son col, tentant de se soustraire autant que faire se peut à l’hiver, moi.

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Chronique du hasard

Ca y est, j'ai inauguré mon compte Facebook. Après avoir transmis à Mark Zuckerberg mon carnet d'adresses mail, je valide la création de ma nouvelle existence virtuelle. En moins de dix secondes, je me retrouve face à la multitude d'amis et d'amis de mes amis - qui sont d'après les suggestions de ce brave Mark, d'autres amis potentiels - qui dérivent déjà sur l'océan du vide existentialiste, et qui tels les noyés du Styx, tentent d'agripper les âmes indolentes.



Longtemps je me suis cru capable d'échapper aux réseaux sociaux. Quand je répondais à la question fatidique "Et tu possèdes un compte Facebook?" par la négative, combien de fois me suis-je étonné des soupirs, des regards envieux, des regrets, ou des injonctions à ne pas rejoindre les myriades d'enchaînés dont mes interlocuteurs faisaient partie?



De la même façon entend-on parfois cette question :



"Auriez-vous une cigarette?"



- Désolé mais je ne fume pas



- Vous avez bien raison. Il faudrait que j'arrête, d'ailleurs"



Les gens qui sont sur Facebook vous invitent à les rejoindre tout en gardant à l'esprit que la malédiction qui les afflige se refile comme la gastro, par un simple contact.



J'ai ainsi retrouvé la trace de ces "amis" disparus, oubliés, oublieux ou oubliables. Et devant le flux infini des identités qui se déclinaient devant moi, le malaise m'a saisi, le vertige de constater le vide abyssal qui me faisait face.



Alors j'ai repensé à mes deux grands-pères. Tous deux étaient de ces mineurs d'origine italienne, exilés dans le Nord, comme pour payer le tribu d'ancêtres redevables au Soleil de grâces dont ils ne s'étaient pas acquittés, sous une pluie et un vent glacial perpétuels.



Quand ils sortaient de la fosse, L'un regagnait son potager, l'autre ses champs, pour travailler la surface d'un monde qu'ils ne connaissaient plus que dans ses entrailles.



J'ai tenté de prendre la mesure de cette nécessité qui s'imposait à eux, de poursuivre un autre travail, après celui harassant de la mine. Et je les ai vus, à la tombée du jour, poser leur outil, les mains sur la taille, à contempler leur ouvrage. Je les ai vus sourire, dans cette pudeur ineffable qui ne les quittait jamais face au travail accompli. Ainsi sauvaient-ils leurs âmes.



Moi, je suis de cette génération qui court après le vent, le soulève par brassées, et déplore son absence une fois les mains ouvertes...