Le sujet

Emmanuel Gallieni est un jeune garçon sans histoire, jusqu’au jour où, en proie à un sentiment d’empathie extrême envers un camarade de classe, il se découvre le pouvoir de prendre possession du corps d'autrui. Des petits méfaits égoïstes de l'adolescence à la félonie et aux crimes de l'âge adulte, des villages sinistrés du Nord de la France aux dunes du désert du Namib, Emmanuel se cherche, se perd, et part en quête d'une impossible rédemption.



jeudi 7 juin 2012

À la terrasse du Coq d’Or



Je suis assis à côté d’eux, je savoure ma Leffe en tapant quelques lignes sur mon netbook. Mais en toile de fond, ses propos à elle me parviennent et son évident désintérêt à lui m’interpelle.

Elle semble avoir un besoin irrépressible de parler. Elle invente des sujets à la con par myriades ; la durée des démarches en mairie, la disponibilité d’Elizabeth pour la journée de dimanche, la fiabilité des prochains locataires.

Lui ne bronche pas. Il assiste à ce monologue déprimant sans se donner la peine de lui offrir la moindre réplique, le moindre commentaire. On est au-delà de l’agacement, on se situe à la frontière irréelle entre indifférence et absence. Je ne peux le blâmer tellement l’intangibilité de ce qu’elle  raconte semble d’un non-sens absolu. Moi-même, J’ai du mal à cerner mes propres impressions sur elle. Au fond, n’est-elle pas touchante ? À moins qu’elle ne m’horripile déjà. Je la découvre depuis une dizaine de minutes et j’ai la sensation - comme lui certainement – d’être en état de siège. Sauf que lui doit connaître ça depuis des années. Je suis fatigué pour lui.

Elle est ronde, trop en chair ; elle porte la même coiffure que Josiane Balasko dans Gazon Maudit ; mais elle reste féminine. Du moins, elle se contraint encore à porter du rouge à lèvres, de ce rouge à agressif, clinquant, aussi approprié que la peinture métallisée d’une Ferrari apposée à une Renault 4. Elle semble encore faire attention à ce qu’elle porte ; des vêtements de qualité sans aucun doute mais affreusement ringards.

Lui porte un  tee-shirt orange déliquescent sur un jean mal taillé. De son apparence, de l’image qu’il est susceptible de renvoyer, il se contrefout totalement. Ils ont la soixantaine, leur vie est derrière eux, l’on sent dans sa traînée le poids des échecs.

Elle continue de parler, il continue de s’en foutre.

Un vieil homme passe, en short et tricot, des sandalettes aux pieds, les chaussettes sombres remontées jusqu’aux genoux. Il avance courbé mais rapidement à l’aide d’une canne. Il grimace et disparaît. Bordel, c’est quoi cet endroit, la Quatrième Dimension ?

« Bon, on va chercher les comprimés ? »

Sur cette dernière phrase, les deux se lèvent et s’en vont. Epilogue magnifique.




lundi 2 janvier 2012

Je déteste le nouvel an...

... mais je ne suis pas encore suffisamment aigri pour souhaiter aux gens que j'aime ou que j'apprécie autre chose que du bonheur. En substance, que 2012 vous apporte :
- un système imunitaire compétent pour les malades et un peu de recul et de discernement pour les hypocondriaques (dont je fais hélas partie)
- de l'argent pour les indigents et de la modération pour les flambeurs
- de la reconnaissance pour ceux qui travaillent dans l'ombre, de la gloire pour ceux qui en sont dignes
- de l'amour pour les coeurs solitaires, du courage pour les âmes mal assorties, de la patience et de l'écoute pour les autres

Ne nous cachons pas la face, si l'on écoute la radio ou qu'on regarde la télé, les médias ne nous laissent pas beaucoup de choses à espérer de l'année en marche. Mais j'ai beaucoup apprécié une réplique de Kyan Khojandi, le héros de la séeie "Bref..." sur Canal Plus, nouvelle icône des trentenaires paumés, publiée dans le dernier numéro... des Inrocks, et qui dit à peu près la chose suivante :

Quand un gamin tombe et se fait mal, il y a deux façons pour un adulte de réagir : ou on en fait tout en cas, on le plaint, on s'appitoie et le gosse se met à brailler et à souffrir de plus belle, ou bien on l'aide à se relever, on lui dit que ça n'est pas grave et le mioche repart jouer.

Alors notre monde n'a certes pas la bouille attachante d'un marmot, mais vu qu'on ne peut pas lui coller plus de taloches qu'il n'en prend déjà, essayons de l'appréhender avec un peu plus de bonté.
Bonne année 2012.

Pascal

mercredi 14 décembre 2011

Lettre aux Inrocks

Je souhaiterais réagir sur ce petit pamphlet fustigeant l’humour chrétien, paru dans votre numéro du 23 novembre, concernant l’accueil hostile de ceux que vous appelez les fondamentalistes chrétiens – que vous associez volontiers à l’extrême droite-  suscité par le spectacle de Rodrigo Garcià « Golgota Picnic ».
J’ai un petit problème avec les Inrocks. Sans avoir été un lecteur en continu, j’ai feuilleté vos premières pages au lycée, parce que je découvrais alors Sonic Youth et que votre couverture –bleue si je ne m’abuse- avec une Kim Gordon à la mine délicieusement cadavérique, cernée par les bras d’adolescent  de Thurston More m’intriguait.
Pour être honnête, je n’ai pas compris grand-chose à votre article. Notre première phase d’incompréhension réciproque – dont j’étais l’entier responsable-  dura quelques années.  Aussi, en sortant de ma rencontre dantesque avec le Lost Highway de Lynch, je retournai vers vous avec quelque espoir d’y voir plus clair, équipé des quelques neurones fraichement éveillés dans mon esprit d’étudiant. Bingo, je compris presque autant votre critique –  dithyrambique à juste titre – que le cauchemar éveillé de cette espèce  de Chris Isaak quinqua déjanté. S’en suivit une longue période de communion fraternelle autour de moments paradoxalement  heureux comme celui de la sortie du deuxième album de Portishead, de la découverte de Trainspotting ou de moments poignants comme la disparition tragique –presque mystique- de Jeff Buckley.
Mais les meilleurs moments ont une fin, c’est le principe de la jeunesse, et l’entrée dans la vie active du jeune instit que j’étais nous sépara de nouveau  pour quelques années. De temps à autres, je retournais à vous.  Ponctuellement. Pour constater que vous emboitiez le pas à la révolution annoncée du Rock à force d’éloges successives à des groupes en « The… » dont l’histoire ne retiendra au final que le pantalon slim et la perruque, et la postérité avertie que leur pillage en bonne et due forme des Stones. Ou bien encore pour vous voir fustiger la droite sarkozyste et réclamer la régularisation de tous les malheureux qui aspirent à vivre en France. A une époque, vos penchants politiques m’agaçaient déjà. Parce qu’il vous paraissait certainement inconcevable de pouvoir être lu par un autre public que la génération sortant du ventre d’une gauche caviar qui avait tôt fait de réclamer du social, tout en entretenant des rapports plus qu’ambigus avec le grand capital. Ça m’énervait donc, mais vu qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, j’ai fini par vous rejoindre sur bien des positions devant le bilan lamentable des gouvernements de droite et la désintégration – ou l’assassinat c’est selon - de la vraie identité française, celle qui n’est pas convaincue que le voisin d’origine métissée d’à côté soit forcément un agent dormant d’Al Quaïda.
Vous allez me dire que vous finissez toujours par me convaincre ? Il existe un point sur lequel nous conserverons toujours et au-delà de nos affinités une distance. Vous concevez la foi chrétienne des uns comme une tare transgénérationnelle. Dans votre esprit libertaire parfois étriqué, un catholique est un pétainiste, un protestant un G.W Bush. L’équation « chrétien + gauche + envie de culture » ne trouve pas de solution. Et au nom de la tolérance et de la liberté d’expression, on peut aisément cautionner et encourager un pseudo artiste qui chie devant un portrait du Christ. La provocation, c’est ce qui reste à un artiste quand son inspiration a foutu le camp, quand son égo se dissocie de son talent. Gainsbourg en fut la preuve.
Vous attendez d’une partie de la population qui s’en remet à Dieu qu’elle accepte qu’on crache sur son seul trésor, qu’on le raille ou qu’on le diffame. C’est donc ça, cette fichue tolérance que vous défendez : le droit de blesser gratuitement pour les uns, le droit de fermer sa gueule pour les autres. De confession protestante, je m’efforce tant bien que mal à ne pas juger quelqu’un sur sa seule apparence, à ne pas fustiger celui qui n’est pas convaincu qu’il y ait quelqu’un là-haut. La République en laquelle je crois, la laïcité que je revendique, ça n’est pas celle qui dénigre celui qui n’est pas dans l’air du temps, sous couvert de la liberté d’expression. C’est celle qui accepte et respecte toutes les différences. Le chrétien n’a pas d’humour ? Pas moins que le bobo qui vit avec 100 000€ par an, en face de ses contradictions lorsqu’ on lui demande s’il est réellement prêt loger pour une soirée un SDF qui n’a pas pris de douche depuis quinze jours. 
Le Christ est un démagogue ? Il a été crucifié par le peuple. La religion un appui des élites ? Les premiers Chrétiens furent traqués par les autorités – c’est encore le cas dans certains pays. Et sans l’aide d’une Kalachnikov pointée dans le dos, ils mettaient leurs biens en communauté, selon la règle du bon vouloir. Vous qui aimez tant revendiquer la défense des pauvres, demandez-vous pourquoi le message du Christ est le seul qu’ils aient retenu et entretenu, avant celui de Marx, de Guevara, et plus récemment avant les promesses d’un Obama… ou d’un Sarkozy.
Pascal Laganà

dimanche 9 octobre 2011

Extrait du recueil "Carnets de voyage : Terres du Nord" à paraître prochainement

Paris, décembre 2005


Gare du Nord, 22h20, un dimanche soir en décembre. Ou comment associer le pire lieu à la pire heure, au pire moment de l’année.

La Gare du Nord est le lieu le plus sinistre de Paris. Tous les courants d’air de la capitale s’y donnent rendez-vous. Il y a dans l’atmosphère un malaise constant. On est toujours en dépression quand on quitte Paname et ses lumières, gagné par l’amertume de retrouver ce qu’on connaît trop bien.

Gare du Nord.

 Une gare, c’est tellement froid, tellement impersonnel. C’est toujours partagé entre l’angoisse de ceux qui arrivent et la tristesse de ceux qui partent. C’est encore plus vrai à Paris. Surtout quand ceux qui s’en vont filent vers le Nord. Le Plat Pays et ses cieux plombés, ses friches industrielles et ses cafés surpeuplés par la misère locale. Je connais trop bien ces paysages désolants qui défilent le long du trajet Paris-Douai. C’est leur succession qui progressivement estompe les feux de la capitale  et qui une fois arrivé à destination, achève de dissiper la magie des grands boulevards.

Gare du Nord, 22h20, un dimanche soir en décembre. Je croise des étudiants qui regagneront leur chambre de bonne glacée dans les combles d’un immeuble haussmannien. Je croise les toxicomanes qui errent à la recherche d’une dernière dose et leurs dealers aux regard fuyant qui font leur sale besogne. Je croise le jeune type amoureux qui renonce pour la semaine à celle qui fait battre son cœur et le bidasse qui retourne malgré lui dans cette maudite caserne.
Et au milieu de ce cirque, il y a ce type mélancolique, enfoncé dans son col, tentant de se soustraire autant que faire se peut à l’hiver, moi.

samedi 8 octobre 2011

Bref, j’ai mis en vente mon appart…

On savait bien qu’on devrait franchir le pas un jour. Que c’était bien beau de parler de maison, de jardin, de deuxième enfant, tout ça… Temps qu’on n’avait pas mis en vente ce qui nous sert de toit depuis quatre années, on pouvait tranquillement surfer sur les projets de grands espaces à conquérir, s’autoriser toutes les rêveries de petits déjeuners façon « l’ami Ricorée » sur une jolie terrasse, s’épancher en projets d’organisation des pièces de cette future maison BBC qu’on se ferait bâtir en plein cœur de la ville.
Mais je suis à cet âge où les certitudes durables ont besoin de garanties, et accessoirement d’un minimum de lucidité. Dès lors, pas la peine de critiquer mon banquier qui me réclame mes trois dernières fiches de salaire pour m’accorder le moindre crédit. Pas très honnête d’en vouloir à mon assureur qui m’impose un questionnaire détaillé de mes derniers pépins de santé avant de me faire signer un contrat ou la moindre couverture nécessite le paiement d’une franchise plus élevée que dix cotisations mensuelles. Je suis comme eux, cynique et grinçant. C’est tuant, dans la force de l’âge, de cogner ses derniers rêves de gosse contre le mur froid de la réalité et le crépi rugueux de ses propres limites.

Alors après en avoir discuté ensemble, nous avons pris ce qu’on appelle communément « nos responsabilités », pour habiller plus joliment l’idée de « nos emmerdes à bras le corps ».
J’ai contacté une agence. Le type est arrivé dans un costume sombre avec une gourmette et une chaîne en or bien trop tape-à-l’œil pour inspirer la confiance. On a parlé estimation, il nous a dit que nous étions raisonnables. Je ne savais pas si ça signifiait « cons » ou « bien gentils ». Il nous a dit que notre prix semblait adéquat, qu’il s’engageait à faire tout son possible – une pancarte, une petite annonce et un article via Internet – pour nous décharger de nos murs dans moins de trois mois. Nous avons dit « Ok ». J’ai refermé la porte derrière mon agent du KGB qui avait manifesté autant d’humanité durant notre entretien que Staline à la conférence de Yalta.
Le vide s’est engouffré dans l’appartement pour s’approprier nos souvenirs heureux passés au troisième étage de cet immeuble. Notre emménagement galère, nos petits travaux et mes errances de bricoleur du dimanche. Nos étreintes amoureuses sous lumière tamisée. Les préparatifs de notre mariage. Les fêtes, les repas, les soirées vautrés sur le canapé. Matteo.
Matteo en arrivant de la maternité et moi lui expliquant qu’il est chez lui. Matteo dormant sur Laury. Matteo se redressant dans son parc, déboulant du couloir à quatre pattes, roulant sur son petit camion. Matteo marchant. Matteo courant.
Je suis groggy. On ne rattrape pas le temps qui passe. Nos mains sont des paniers percés.
On m’a toujours conseillé de ne pas m’attacher au matériel. Parfois j’ai l’impression que c’est lui qui s’attache à moi.
Et puis de toute façon, pour moi c’es sûr, les lieux ont une âme.

samedi 6 août 2011

Insomnie méditerranéenne

Sète, Mont Saint-Clair, 5:30, le 31/07/2011
 
Impossible de dormir. Le sommeil me fuit depuis que je me suis allongé. J’hésite, tergiverse, me demande derrière chaque heure écoulée si je dois insister, continuer de remuer toutes les pensées qui assaillent mon esprit, ou me lever et aller les écrire.
À cinq heures du matin, une vie se termine. Celle des noctambules qui sortent de boîte. Le crissement des pneus des chauffards ivres déchire la nuit agonisante. Je m’arrête pour retirer de l’argent. Je croise des promeneurs équipés pour la randonnée nordique. Leurs shorts sont trop courts, ils parlent fort, marchant vite pour échapper à la morsure de la fraîcheur. Dehors, il fait dix-huit degrés, mais des rafales cinglantes viennent me faire frissonner. Un jeune couple passe. J’ai l’impression qu’ils sortent d’une dispute : ils marchent côte à côte en conservant leurs distances, la mine grave et renfrognée. Les amours eux aussi, meurent au petit jour.
Je démarre le moteur en remarquant à quel point la torpeur a engourdi mon cerveau. J’ai l’impression de rouler sur du coton. Après deux cent mètres, je réalise que mes feux sont éteints. Puis la voiture gravit les pentes du Mont Saint-Clair. Les rues sont désertes. Je suis un spectre matinal qui erre dans la ville endormie, insomniaque ou somnambule, je ne sais pas très bien. Dans quelques minutes, la nuit va s’incliner devant le jour naissant, dans cette incroyable schizophrénie cosmique. Le ying et le yang vont se croiser comme deux amants condamnés à des horaires de travail impossibles à concilier.
Sur les hauteurs, je contemple l’ombre opaque du bassin de Thau et la cité éclairée par les veilleuses des hommes. Je pense à une miniature de Los Angeles qui se déploierait dans l’horizon immense, duquel on perçoit en ses confins les prémices de l’aurore. Moment magique, apothéose insaisissable que les humains manquent invariablement. Les ténèbres se diluent progressivement dans la fragile pâleur qui prépare le chemin à la lumière conquérante.
De temps à autre, je sors de l’habitacle confiné de la voiture pour savourer les différents tableaux qui se succèdent derrière la embarde du parking. J’y retourne frigorifié. Le vent souffle, siffle, fait ployer les herbes hautes et la cime des arbres environnants. À chaque fois, le spectacle change. Les rives se découvrent, les montagnes alentours se dessinent, le monde naît, dans une éternelle première fois.
Je songe à mon fils qui dort paisiblement, à la peau de ma femme, douce et chaude, inerte sous ses draps. Sur l’étang, un point lumineux se déplace. C’est un bateau qui traverse.
 

mercredi 3 août 2011

Hier, l'Equipe titrait...

A propos de Javier Pastore, la recrue imminente du PSG : ''Vaut-il vraiment 42 millions?''
Je sors du bureau tabac, le quotidien sous le bras. Devant la boulangerie, juste à cote, un type fait la manche. Dans le gobelet devant lui, cinq ou six pièces jaunes, une dizaine de ferraille. Je sors la monnaie qui traine dans ma poche : un euro cinquante. J'imagine une Une alternative pour un quotidien à gros tirage avec la photo du SDF. ''Vaut-il vraiment 1€50?''.
Parfois, cette Terre m'apparait comme une planète réellement merdique.

Chronique du hasard

Ca y est, j'ai inauguré mon compte Facebook. Après avoir transmis à Mark Zuckerberg mon carnet d'adresses mail, je valide la création de ma nouvelle existence virtuelle. En moins de dix secondes, je me retrouve face à la multitude d'amis et d'amis de mes amis - qui sont d'après les suggestions de ce brave Mark, d'autres amis potentiels - qui dérivent déjà sur l'océan du vide existentialiste, et qui tels les noyés du Styx, tentent d'agripper les âmes indolentes.



Longtemps je me suis cru capable d'échapper aux réseaux sociaux. Quand je répondais à la question fatidique "Et tu possèdes un compte Facebook?" par la négative, combien de fois me suis-je étonné des soupirs, des regards envieux, des regrets, ou des injonctions à ne pas rejoindre les myriades d'enchaînés dont mes interlocuteurs faisaient partie?



De la même façon entend-on parfois cette question :



"Auriez-vous une cigarette?"



- Désolé mais je ne fume pas



- Vous avez bien raison. Il faudrait que j'arrête, d'ailleurs"



Les gens qui sont sur Facebook vous invitent à les rejoindre tout en gardant à l'esprit que la malédiction qui les afflige se refile comme la gastro, par un simple contact.



J'ai ainsi retrouvé la trace de ces "amis" disparus, oubliés, oublieux ou oubliables. Et devant le flux infini des identités qui se déclinaient devant moi, le malaise m'a saisi, le vertige de constater le vide abyssal qui me faisait face.



Alors j'ai repensé à mes deux grands-pères. Tous deux étaient de ces mineurs d'origine italienne, exilés dans le Nord, comme pour payer le tribu d'ancêtres redevables au Soleil de grâces dont ils ne s'étaient pas acquittés, sous une pluie et un vent glacial perpétuels.



Quand ils sortaient de la fosse, L'un regagnait son potager, l'autre ses champs, pour travailler la surface d'un monde qu'ils ne connaissaient plus que dans ses entrailles.



J'ai tenté de prendre la mesure de cette nécessité qui s'imposait à eux, de poursuivre un autre travail, après celui harassant de la mine. Et je les ai vus, à la tombée du jour, poser leur outil, les mains sur la taille, à contempler leur ouvrage. Je les ai vus sourire, dans cette pudeur ineffable qui ne les quittait jamais face au travail accompli. Ainsi sauvaient-ils leurs âmes.



Moi, je suis de cette génération qui court après le vent, le soulève par brassées, et déplore son absence une fois les mains ouvertes...